La première fois que j'ai vu Caroline le temps s'est arrêté par alternance mais je ne m'en rendais pas compte.
Physionomiste que je suis je ne trouve au début rien d'autre pour me souvenir d'elle que sa paire de lunette. Un peu stylée. Elle a un look bien à elle.
Il faut dire que j'ai toujours eu des problèmes pour me rappeler du visage des gens.
Parfois, dans la rue quelqu'un venait de derrière moi pour me dire hey, Franck, mais qu'est-ce que tu fous à me snober? Ma sœur. Je venais de la croiser sans l'avoir reconnu.
Assez vite je dois me rendre à l'évidence qu'un mini boxeur sonnait à la porte dans ma poitrine pour me foutre une petite pêche en plein dans le ventre à chaque fois que je travaillais à côté de Caroline.
Je l'ai rencontré à l'occasion d'un petit boulot.
Ce boulot est comme à chaque fois dans ces cas là le seul endroit où on peut se côtoyer.
Alors tu profites comme dans un film à l'eau de rose. Je fais un détour vachement plus long dans les cuisines du faTfood pour prendre tel ou tel truc parce que j'espère simplement qu'elle sera sur ma route.
Des fois elle l'est et des fois non.
Quand c'est pas le jour, qu'elle n'est pas là, je m'arrêtais au milieu de la cuisine qui grouille d'employés et sous le regard médusé de tout mes collègues je cris en moi d'un air grave pourquoi mon Dieu!!! Pourquoi elle est pas là où qu'elle devrait être parce que mon petit cœur souffre de son absence!... Et puis snif. Et je retournais livrer tes sandwich.
Caroline c'est comme ces gens qui n'ont pas l'air, même que tu crois être le seul futé à les avoir remarqué. Sauf que le jour où t'en parles tout le monde te dis que c'est clair, mec! Et là tu sais que bah non, ça se voit effectivement.
Mouai. Y a des gens qui envoient donc effectivement plus le steak que les autres. Et quand je te dis ça, je veux pas parler des sandwichs. Y a des gens comme ça.
J'ai eu un pote à une époque. Il ne m'énervait pas seulement parce qu'il était à l'aise dans toutes les situations ou qu'il ne manquait jamais d'à propos, ni de culture. Il m'énervait surtout parce qu'il était réellement sympa.
Enfoiré.
Il avait un sourire d'Apollon ce qui le rendait très irritant parce qu'alors, tu te mettais bêtement à sourire aussi.
Ce mec est de mémoire l'exemple type qu'il n'y a pas toujours d'égalité entre les gens.
Il était beau, grand, viril, ouvert d'esprit et la seule fois où j'ai passé une soirée avec lui et ses potes là j'ai compris l'ampleur de l'injustice.
Je les écoute parler tranquillement; ça discute de la partie de basket ball hebdomadaire qu'ils se sont fait (parce qu'évidemment, c'est un sportif), on l'a charrié sur la trempe qu'il avait mis à un de ses potes (à cet instant, il se retourne vers moi pour me préciser gentiment que oui... parce que je fais du judo. Ceinture noir, je l'apprends une minute après), et un moment plus tard, ils se mettent au défis de plonger dans une crique magnifique (il fait de la plongée sous-marine) mais pas tel jour, parce qu'il pilote un avion alors un autre jour ça l'arrange.
Moi je n'ai plus rien à boire, je lui demande s'il sait où il y a un distributeur pas loin du bar. Il sort un billet de sa poche et me dit que ce soir c'est pour moi, tu me les rendras demain.
Enfoiré, donc.
Il y a des gens, quand tu rentres chez toi après les avoir vu, tu te dis que c'est pas possible y a un cours sur la Vie que t'as du louper.
C'est le cas avec Caroline. Il faut que je lui propose de sortir un soir.
Elle accepte.
Oh putain.
Caroline, très vite, est comme une classe de rattrapage pour moi.
Y a des gens qui ont le dont de t'intimider. Pas elle. On passe quelque chose comme cinq heures à discuter la première fois. Un dimanche.
Tu vois un de ces films qui sortent pour la saint Valentin avec des beaux acteurs américains aux dents blanches? Moi quand j'en vois un et qu'on voit les deux tourtereaux discuter toute la nuit, je me moque pas. Parce que c'est vrai que dans ces moments-là le temps semble avoir fermé sa gueule, juste par politesse. Merci.
Alors ça y est, je me suis complètement métamorphosé pendant cette période en petite adolescente qui attend avec impatience l'heure de son prochain rendez-vous. Mais contrôle-toi Franck. Tranquille tavu. Penses à la chanson des Forbans et restes cool dans tes baskets.
"- ça boum?...
- oui et toi...?
- ouai...". J'ai les genoux qui tremblent en vrai. Quand elle reprend son travail j'essuie les gouttes de sueurs dans mon cerveau sans qu'elle le voit et je peux souffler en m'appuyant contre un mur.
Sois rassuré, un vrai Fanzie le petit Franck.
J'ai mal au ventre. Un gentil mal au ventre comme celui que tu as quand tu passes en voiture sur un petit pont de campagne.
On se voit plusieurs fois comme le dimanche de tout à l'heure. On se voit parfois dès le milieu d'après-midi jusqu'à la nuit tombée.
Je garde pour moi tout les détails. Premier baiser. Première fois. Chacun de ces deux souvenirs sont rangés dans un petite boite bien au fond de ma poitrine.
Apprendre à se connaître, à connaître nos corps. J'aurais pris dix fois ou cent fois plus de temps s'il avait fallu. Le temps n'a aucune importance. Quand elle parle j'écoute tranquillement. Je répond un ouèp, c'est sûr. Quand je parle elle m'écoute. Puis elle répond bah...c'est débile tellement affectueux que je fini par répondre ouèp. C'est vrai qu'elle a souvent raison. Quand j'y pense, moi aussi j'ai souvent raison. En y pensant, je me demande comment c'est possible. Mathématiquement, ça tient pas la route. Et pourtant...
J'aime quand elle a raison. J'aime bien quand on s'engueule. J'aime bien avouer au bout d'une heure de dispute violente que c'est con se que je dis et qu'elle termine simplement par bah oui juste avant de me demander tranquillement de faire le riz.
J'aime bien aussi quand on est comme deux cons à presque hurler dans l'appartement. Parfois il arrive que ça me fasse marrer d'un coup. Parce qu'on est ridicule, et puis aussi parce que je me rend compte que même ce moment est agréable.
J'aime bien quand elle s'enflamme et que d'un coup elle s'arrête pour réfléchir à ce que je dis. J'ai même pas la sensation d'avoir gagner. J'aime juste parce qu'elle est comme ça. Elle n'est pas fière, elle essaie juste de ne pas être conne. Mais elle essaie plus que tout autre personne que j'ai connu on dirait. Et elle y arrive souvent mieux.
Parfois, quand on s'est mutuellement monté la tête depuis une demi heure et qu'elle fini par clamer que ce que je dis est complètement con, je souris parce que je pense qu'elle m'aime et que même là j'en doute jamais.
Tu crois qu'on s'engueule tout le temps? Tu n'y es pas. En fait, on ne se dispute jamais. Plus un sujet m'intéresse plus je parle fort. Et elle est passionnée. Alors le ton monte et à la fin on a envie de voir un film alors on s'arrête épuisé. Tout le reste du temps on parle de tout et n'importe quoi. Et ça aussi c'est bien.
Qu'est-ce qui ne va pas Franck? Parce qu'il y a toujours quelque chose qui ne va pas.
C'est vrai.
Je n'ai jamais ressenti ce que c'était d'aller au bout de soi. Tu sais ce que c'est que l'ivresse de la vitesse et la frustration infinie de ne jamais combler son envie d'aller plus vite?
Quand j'étais plus jeune dès qu'il m'était possible de me coucher tard, je le faisais. Sans raison.
Quand j'ai commencer à me saouler la gueule, je l'ai fait. Sans raison. Juste parce que je n'avais pas fait le tour.
Votre Curriculum Vitae est toujours aussi insatisfaisant monsieur Franck. C'est ce que m'a toujours dit mon instinct.
À chaque nouvelle expérience, toujours un quoi? C'est tout?...
Chaque trip que j'ai pu faire depuis que je suis adolescent m'a toujours semblé être la longue introduction d'une vraie expérience inconnue. La première fois que j'ai pris des drogues j'en ai trop pris. J'ai fait une espèce de petite overdose, je suis resté perché pendant vingt heures, en sueur, j'ai vomi, j'ai eu la chiasse, j'étais exténué puisque j'étais réveillé depuis trente six heure mais sans pouvoir dormir. J'ai cru que j'allais rester comme ça. Et quand le malaise est passé j'ai trouvé que c'était le meilleur trip de ma vie.
Et puis mon instinct a trouvé que ce n'était pas suffisant.
J'ai toujours eu la sensation que mon corps était unique. J'ai toujours eu la sensation que mon esprit était plus fort qu'un autre. J'ai toujours su que je pourrais encaisser plus que n'importe qui et que je devrais déployer plus d'effort que quiconque pour me satisfaire.
Tu sais ce que c'est toi que d'avoir toujours soif? Même si tu viens de boire six litres d'eaux. Encore soif. Une soif inextinguible. C'est ce que j'ai toujours ressenti.
Une soif de vie incontrôlable. Comme une fièvre pressée et impérative.
C'est ça que j'ai appelé mon gros nuage lointain dès l'age de treize ans et c'est ça qui m'a rattrapé quoi que j'essaie. Toujours.
Avec Caroline, j'ai connu un moment de répit parce que Caroline a changé beaucoup de chose.
Avec elle j'ai eu envie de changer. J'ai eu envie de faire mieux. D'être quelqu'un de meilleur. Même si ça ne veut pas dire grand chose en fait.
Peut-être juste que j'ai eu envie d'être un peu moins con. C'est elle qui m'a donné envie.
C'est drôle ce que nous laisse les gens à la fin. Caroline reste la petite question que je me pose encore aujourd'hui quand je ne sais pas quelle ligne de conduite adopter. Comme une petite inspiration toujours présente.
On peut se tromper, tout le monde peut se tromper, mais j'ai vu de mes propres yeux que ça n'avait pas d'importance tant que tu essaies de ne pas être trop con. Et ça, ça donne un pouvoir immense. Ne plus avoir peur de se tromper. De dire une connerie.
Juste parce que ça arrive à tout le monde.
Ça te paraît évident.
Oui.
Dit comme ça, je te l'accorde. Et pourtant pour un mec qui la ramène un peu trop, c'est équivalent à une révolution intellectuelle.
Je n'ai jamais totalement compris Caroline. C'est aussi pour ça que je ne l'ai jamais trouvé ennuyeuse.
Il y a des gens qui t'échappent toujours.
Pour moi, Caroline est toujours insaisissable parce qu'elle est capable de prendre le contre-pied de ce à quoi je m'attends, pour la simple raison que ça va mieux avec sa façon de penser la chose à cet instant précis (encore cette foutu indépendance d'esprit). Elle ne craint pas de me décevoir. Les gens cohérents sont comme ça.
Je ne me vexais jamais quand elle me surprenait par un nouveau point de vue. Je m'accordais. Parce qu'on était ensemble et qu'on était bien. Même si je n'avais aucune idée de ce qu'elle allait penser de tel ou tel chose.
La première fois qu'elle m'a dit (très vite, d'ailleurs) après une assertion bien sentie de ma part bah!... c'est débile, dans mon cœur il s'est passé quelque chose. Ce qui me permit par la même occasion de découvrir cet organe comme jamais je ne l'avais senti. J'ai souri. J'étais bien.
Au fond de moi pourtant, alors que je l'avais oublié un peu, quelqu'un frappe à la porte. Pas le petit boxer dont j'aurais reconnu l'arrivée dès le premier coup de heurtoir.
C'est le gros nuage, Franck.
J'ai vraiment cru pendant un moment m'en être débarrassé. Il est pourtant revenu insidieusement par petits bouts pour ne pas se faire remarquer. Et puis un jour que son dernier organe a réussi a passer la frontière, j'ai ressenti que je n'en avais jamais été débarrassé.
Le gros nuage parfois se faisait ressentir. Sentiment que j'aurais aimé faire taire totalement.
Pourtant, malgré la réapparition de cette chose sombre j'avais encore des révélations au sujet de Caroline. Malgré ces moments où je me croyais condamné à répéter les échecs du passé avec mes précédentes relations, j'ai continuer à grandir grâce à Caroline.
Au bout de deux ans de vie commune, même avec cette sensation inexplicable d'insatisfaction dans ma propre vie, alors que je regardais des nanas bien roulées il me venais à l'idée que oui, je pourrais baiser, baiser et... et rien, parce que non, je voyais autour de moi et constatais qu'il n'y avait pas mieux que de s'engueuler avec Caroline.
Et ça c'était tout à fait nouveau.
Je me demande encore un peu parfois ce qui m'a pousser à franchir le pas mais encore aujourd'hui quelque fois je me dis l'air un peu con qu'il m'a fallu une bonne dose d'inconscience.
Ou de ras-le-bol.
Si j'avais les mots je le dirais, mais non.
Rien de parfaitement défini ne vient. Juste que cette sensation d'insatisfaction bien connue de moi c'est un peu la guerre que je n'ai encore jamais mené et à laquelle, je le sais depuis de nombreuses années (bien avant Caroline et les autres) je ne pourrais me soustraire.
Une espèce de lutte pour un trophée d'une nature inconnue dont je sentais qu'il allait me couter beaucoup.
J'avais au fur et à mesure de mes diverses expérience de couple, expériences relationnelles de toutes sortes, de drogues ou autres, cherché une espèce de réponse au pourquoi de ce malaise qui me suivait à chaque fois pour saboter systématiquement toutes mes entreprises.
Avec Caroline m'est apparue l'une des premières vraies certitudes qui a compté dans mon existence - la précédente étant que j'aurais une vie "d'artiste" faite d'eau fraîche, de petit salaires et de pâtes au beurre.
Si une fille comme Caroline n'est pas la réponse à ce malaise, malgré les espoirs secrets que j'avais mis en nous, alors personne d'autre que moi ne le sera.
Toutes les ruptures que j'ai connu ont toujours été pour la même raison. J'ai un truc à faire avant, toussa... une connerie du genre vivre ma vie et partir à New York toute une nuit déconner.
Sauf avec Caroline.
Parce que je serais bien parti à New York toute une nuit déconner avec elle.
Et je me serais bien encore fait chier un peu avec elle les soirs où on avait rien à faire.
Et je me serais bien encore un peu disputé violemment avec elle pour l'entendre dire que c'est débile ce que je dis. J'aurais bien encore un peu écouté ses silences pudiques auxquels je ne suis pas sûr encore aujourd'hui d'avoir compris quelque chose.
Et j'aurais bien encore souris intérieurement, pour ne pas la gêner, en la regardant faire les trucs les plus basiques.
J'ai pris mon courage sous le bras et j'ai fais mon lâche. Je n'ai jamais réussi bien distinctement à expliquer pourquoi je devais être seul pour chercher la réponse à mon malaise existentiel de tu vois je suis malheureux.
Je crois que je devais être capable de disposer de tout mon corps. À la fois physiquement que mentalement.
Parce que partir à la recherche de soi ça nécessite une entière disponibilité d'esprit.
Et puis il faut s'éloigner un peu des gens qu'on connait aussi, parce que pour se chercher il faut se tester. Et se tester ça veut dire aussi parfois faire des choses qui ne sont pas nous. Surtout, faire des choses qui ne sont pas nous. Ça veut dire penser différemment. Ça veut dire aussi poser ses principes à côté, et adopter ceux des autres. En prenant soin d'oublier que ce ne sont pas les nôtres. Tout ça, on peut ne pas vouloir que les autres le voient. Parce qu'on peut soi-même détester ça parfois.
Mais j'avais pour faire ça une motivation en béton.
Je sais bien que je ne rencontrerais pas des femmes comme Caroline à tout les coins de rue. C'est pour cela que j'étais résolue à trouver une réponse, quel qu'elle soit, à ce problème d'insatisfaction constante et cyclique.
Comme pour me venger de ce nouvel échec, et me promettant que ça serait le dernier de la sorte, j'ai décider que je ne m'arrêterais pas de chercher ailleurs qu'en moi-même les réponses que je n'ai pas réussi à trouver.
Cet électrochoc que j'attendais depuis longtemps.
Cet électrochoc, comme l'expérience ultime après laquelle je saurais qui je suis. Jute un truc plus fort, bien plus fort que moi. Un truc qui me clouerait au tapis. Dans le bon ou dans le mauvais sens, peu importe.
Le principal étant que je ne me relève pas, une bonne fois pour toute, persuadé que si j'en étais là aujourd'hui, c'est que je ne m'étais pas assez dépassé avant Caroline.Et que j'avais de fait gâché cette histoire.
Je sais bien et je savais déjà à cette époque qu'on apprend pas qui on est aussi simplement que cela. Mais peut-être qu'à me violenter un peu trop, ça me passera l'envie de chercher à tout prix une satisfaction ailleurs que là où je peux la trouver.
Faire taire cette sensation par tout les moyens. C'était un peu l'idée.
Juste pour si un jour je retombe sur Caroline, ou une Caroline. Juste pour arrêter de me saboter.
Rencontrer une Caroline, ça peut faire cet effet-là. Accepter de renoncer à une partie de soi qui n'en vaut pas la peine.
J'ai dit au revoir Caroline. Et j'ai commencé à semer ma personnalité aux quatre vent parce que le vice venait de là...
Et je me suis paré à toute éventualité, en espérant bien être surpris par une claque que je ne pourrait pas imaginer. C'était mon intention.
C'est dans ces conditions que je fis la connaissance d' Éloïse et de beaucoup d'autres.