jeudi 29 octobre 2009

L'amante est dans les murs

... Mais c'est au petit jour le lendemain que je suis reparti, satisfait de mon échec.


À la suite de paroles douteuses je perds le fil de la conversation. J'acquiesce sans trop avoir conscience des risques, sait-on jamais où cela va me mener.
Elle me manipule de sa voie douce et posée – un psychologue, mais puisque c'est de bonne guerre je n'objecte pas.
Je tente de lancer un mensonge par-ci par-là pour donner le change de la souffrance. Je ne me débrouille pas mal non plus. J'ai un don pour me rouler dans la boue et tromper mon adversaire.
Mais je me serais mieux préparé si j'avais eu au préalable le sujet de l'examen de conscience.

Après avoir posé le pied dans cet appartement la première fois j'ai vu plusieurs fois rôder autour de moi l'ombre funeste de la perdition au détour d'une rue ou sur le trottoir d'en face, traversant en même temps que moi et feignant de m'ignorer.
Plusieurs fois j'ai voulu la héler mais le courage m'a fait faux bond. Plusieurs fois.
Parfois même alcoolisé de tout mon long j'ai gagné la force de me retourner subitement pour regarder sans frémir cette ombre alors qu'elle me suivait, toujours à distance respectable. Plusieurs fois donc elle s'arrêtait en même temps que moi et repartait dès que j'avais le dos tourné. J'ai même par moment été jusqu'à prendre ma vie en main : aller à sa rencontre. Introuvable. Ou bien cachée dans les fourrés.

Cette fois-ci, en arrivant et après avoir frappé à la porte, elle s'ouvre sur la douce lumière des diverses lampes de chevet disposées à différents endroits dans la pièce unique.
Cette fois-ci, j'appréhende sérieusement puisqu'il s'agit là d'un rendez-vous bien officiel. Les règles ont été posées préalablement en partie, au travers de multiples échanges de mails et de sms. On va parler. Tout du moins nous devrions, mais aucun mail ni message ne nous a à l'un comme à l'autre donné la marche à suivre.
On a envie de se voir, envie juste pour le plaisir. C'est l'autre problème.
Nous sommes elle et moi dans la situation de ces gladiateurs amis qui nous avançons au milieu de l'arène, dans ce film, sans savoir si nous allons nous tomber dans les bras ou bien nous battre. La tension à l'approche l'un de l'autre est palpable.

Elle m'embrasse. Ou moi, je ne sais pas.
C'est très beau.
Et puis...
Elle sait que j'ai vu, ou peut-être est-ce moi qui sait qu'elle a vu.
Je parle de cette petite hésitation. L'hésitation de celui qui n'est pas absolument ton ami, de celui que le doute a pénétré.

La guerre sourde, alors...? Ce sera cela.

Sans savoir qui l'a déclenchée il va nous falloir faire avec cela à présent. Je la sers dans mes bras, l'œil au aguets, partagé. Entre ses bras je suis comme une victime insouciante qui ne crois pas encore à l'existence du couperet alors qu'il a été condamné à mort. Je fais comme quelques personnes auraient fait, j'oublie la guerre. Je la fuie par lâcheté.
Je me persuade du fait que cette entrevue n'est au final qu'une douce discussion.

L'envie qu'elle me donne n'est pas machiavélique, elle aussi voudrait fuir la guerre.
Il n'y a pas de victime heureuse.
Seulement, je sens dans l'élan de son cœur un regard fuyant. Elle est plus clairvoyante que moi, elle n'oublie pas. La guerre approche. Elle souffre sans doute à cette instant de ne pas avoir mon insouciance. Quelque chose en elle ressemble à une mère qui s'apprête à ôter la vie de son nourrisson, à cause de la misère insupportable du monde, retenant son geste à plusieurs reprises.
On parle souvent des meurtres d'amour.
On peut aussi officier malgré lui. Juste parce qu'on est en guerre.

Nous évitons ainsi de nous jauger du regard de peur que cette tendresse soudaine ne s'envole. Moi-même j'étouffe finalement la discordance de mes impressions. Un peu tard. Sans doute vient-elle de l'entendre. Dommage.

On a tiré du lit nos envies, brusquement. On a forcé le désir parce qu'il va bientôt être l'heure et que l'on veut profiter de nos corps encore un peu.
Maladroitement on se touche, une toute nouvelle nervosité au bout des doigts.
Le temps passe, je goûte sa peau pour la re-première fois, comme si s'était la dernière. Je dis au revoir à ses hanches, je parle sa langue plusieurs fois et je goûte toute la sensualité de ces deniers gestes.
Les derniers...
Nous n'avons pas eu le temps de développer notre discours d'adieu que la discussion s'est présentée à la porte, en retard, nous rappelant à nos obligations.

Et c'est peu après cet instant que nous sommes rentrés en scène. Après avoir tenté de prendre chacun à notre tour le contrôle de ce qui selon nous se passait, nous en sommes venus aux mains, vides d'espoir.

À présent ce sont des coups bien peu douloureux que nous donnons puisqu'il nous manque la chose essentielle: juste un peu de conviction.
Nous cherchons chacun à notre manière la façon d'éviter un sujet plus délicat que les autres, à chacun le sien, car si nous ne manquons pas de perspicacité, nous n'en sommes pas moins humains. Dépassés par la question de fond.
Alors c'est à tour de rôle que nous tentons des percées stratégiques vers le cœur de l'autre à coup de visions erronées. Et à force de prêcher le faux, de temps à autre un vrai poignard en acier jaillie des tripes de l'un pour se planter dans le corps de l'autre qui ne s'y attendait pas. "N'étions-nous pas dans une guerre de mensonges, dans une guerre sans risque?".
Il n'y a pas de guerre sans risque.

Les premières larmes commencent à couler au fond de chacun de nous, que l'orgueil nous garde bien de dévoiler car c'est loin d'être fini. Nous devenons plus incisifs, mais le tranchant des mots est heureusement adouci par l'affection.

Puis, à un instant précis, c'est lorsque je reprends mon souffle que j'entends les mots que j'ai entendus en rêve depuis que cette ombre funeste s'est mise à me suivre. En rêve...? que dis-je, dans un cauchemar.
"Lorsque je dis ça, en fait je pense que c'est de moi que je parle"
Je ne t'aime pas, donc. C'est cela que ça veut dire.

On ne gagne pas contre ça.

Voilà.
Ça y est. J'ai perdu.
Ça y est? Oui. Aussi simplement que cela.
"Alors voilà. Il n'y a plus de discussion à avoir".
Je suis navré de ne pas avoir pris les devant. Elle est forte et cette ignoble déclaration est tout a son honneur.
J'aurais voulu lui éviter d'être à la place du bourreau. À cet instant c'est la première chose à laquelle je pense. Pourquoi?
L'affection, sans doute.

Je veux m'en aller, mais en fait pas vraiment. Pas tout de suite.
Je veux fumer une cigarette pour me laisser le temps de la réflexion.
Savourer maintenant dans le fond ce qui vient de se passer. Sans mensonge cette fois.
Laisser le silence d'après guerre s'installer.
Une sorte de sérénité. Comme si j'avais vidé toute mes munitions, les dernières devenues inutiles et que je pouvais me laisser aller à quelque chose de bien plus apaisant.

Nous sommes plus beaux maintenant qu'il y a cinq minutes à peine.
Comme si nous reprenions d'anciens rôles que nous avions oubliés. Au début, lorsque le temps n'existait pas.

Nous restons comme ça quelques instant. Le temps pour deux cigarettes de se consumer entre mes doigts.
Après un long silence je murmure que je ne vais pas tarder à y aller. Elle enfouie sa tête dans la couette.
J'ai bien tenté de prendre la parole à plusieurs reprise pendant ce temps. Comme pour la rendre responsable de ma colère. L'incohérence des propos que je tiens n'échappe d'ailleurs ni à elle ni à moi, mais elle relève tout de même. Il semble que je sois en train de faire plus de mal que tout le bien que j'en tire. Et voyant cette dernière discussion s'enliser je décide, enfin, d'accepter ma défaite. Ma défaite. Elle l'était jusqu'à ce que j'accepte simplement ce qui se passe.
À présent il n'y a plus de question en suspend.
Je pense que nous avons fait la paix.
J'ai ouvert la fenêtre laissant entrer le bruit de la rue, d'un froid glacial.

Elle sourit un peu. Gênée, sans doute. "J'ai envie de te toucher".
Je m'assoie à côté du lit.

C'est sans doute les anciens amants qui font l'amour. Une impression de reprendre quelque chose entre les doigts. Quelque chose dont on sait qu'il va nous échapper.
Est-ce que cela a arrangé le problème? Non. Sans doute pas.
Sommes-nous heureux en cet instant. Oui, sans doute.


Juste avant de repartir le lendemain, en croisant nos regard je vois une cicatrice qui commence à se refermer, en s'éloignant de ce que nous étions.
Dans un pincement au cœur je suis tout de même content. Pour elle. Peut-être pour moi aussi.
J'ai toujours préférer les non-dits.
Par lâcheté sans doute.

Je quitte l'appartement en me renfermant et en m'entourant de quatre murs.

"Franck...? Où étais-tu mon poussin...? J'étais inquiète. Tu as petit-déjeuner?"
Franck ne dit mot. Il voulait un bol de céréale pour s'y noyer.