vendredi 16 septembre 2011

Ce beau matin.


... et c'est avec une moue de fille vexée qu' Éloïse déchire une photo que j'aime beaucoup d'une jeune femme que j'aime beaucoup avant de reposer le cadre vidé à côté d'elle. Elle vient de faire cela pour reproduire à l'inverse le geste que la fille de la photo a déjà eu après ma séparation d'avec Éloïse.
Je la vois reposer où elle l'a pris le cadre alors même que je viens d'être bafoué et je me rend compte que je l'ai regardé faire sans rien dire simplement parce que j'ai cru voir dans ses yeux son besoin d'être sûr de compter encore pour moi. Et pour moi, éprouver de l'affection pour Éloïse signifie un don de soi. Absolument et sans réserve. J'éprouve une amertume singulière en voyant que ma folie me conduit à nouveau là où je ne veux pas aller. Et alors? S'il faut cela pour qu'elle sache qu'elle compte pour moi, alors déchire tout les portrait que tu veux. Parce que oui, oui elle compte encore pour moi. Tu peux déchiqueter de ma vie ce que tu veux si c'est pour voir tout dans tes yeux que tu en a besoin.


Le rêve a commencé par inadvertance.
J'ouvre la porte d'un appartement dans lequel j'habite. C'est Éloïse qui vient me rendre visite. Elle que je n'ai pas vu depuis très longtemps. C'est d'ailleurs la raison de sa visite. Sans doute que ça serait agréable de se revoir après tout ce temps. Oui, sans doute. Mais la voir là ne me rend pas à l'aise. Oui du temps à passé. Oh oui, bien sûr que nous avons changé, cela va de soi. Non... non, aujourd'hui, tout va bien. N'empêche qu'en lui ouvrant la porte, mon ventre se serre. Ma vision périphérique se restreint et j'oublie ce que je tiens dans ma main - un petit objet je crois.
C'est ainsi qu' Éloïse entre dans mon appartement.
J'ai un peu bu avant sa venue. Pour me mettre à l'aise, pour me détendre et puis... non, pour rien d'autre. J'espérais que ça m'aiderait mais en réalité il vient de se passer quelque chose d'inattendu auquel j'aurais dû m'attendre. Tu savais, Franck, que tu aurais besoin de tout tes moyens.

Elle va bien?
Oui elle va bien. Et moi?
Oui, ça va.
Elle enlève son écharpe et la pose à côté d'elle avec une aisance que je viens moi-même de perdre dans mon propre appartement. Elle est gaie. Probablement contente de me voir un peu, ou contente de sa journée ou contente pour tout un tas de raisons qui ne me concernent pas. Elle sourit donc. Je ne sais pas pourquoi. Et moi je ne sais toujours pas ce que je tiens dans ma main et je n'ai toujours pas penser à regarder ce que c'est pour savoir quoi en faire.

Elle prend le cadre, déchire la photo qui s'y trouve et le repose. Son visage me laisse entendre que voir cette fille sur la photo lui fait de la peine.
Elle te fait de la peine Éloïse? Alors déchire-là. Tue-là. Je t'aiderais même si tu veux. Je suis l'esclave dévoué d' Éloïse.

Je lui propose de boire quelque chose. Je fouille dans mes souvenir pour lui proposer quelque chose qu'elle accepterait. Pour tout faire bien. Je ne veux pas la décevoir en lui proposant du thé alors qu'elle prendrait plutôt un café. Ou l'inverse. Ou l'inverse, oui c'est vrai. L'inverse. Réfléchis bien Franck.
Je sens déjà depuis quelques minutes poindre le bout de la queue du petit caniche d' Éloïse. J'ai peur de commencer à émettre d'ici quelques minutes des jappements stridents de caniche nain.
De son côté, tout va bien.
Il semble comme je m'y attendais que pour elle la vie ne s'est pas arrêtée.

Elle joue à me demander comment je vais. Elle joue évoquer notre passé. Et moi j'y replonge corps et âme. Elle joue à me poser des questions. Et moi qui nage majestueusement dans le fleuve à contre courant je ne veux pas gâcher cet instant. Je te donnerais tout ce que tu voudras Éloïse. Tout. Tu veux mon cœur? Je peux me l'arracher pour toi tu sais? Tu le sais? J'en suis capable. Si seulement tu pouvais m'aimer.
Je lui réponds des réponses à sa merci. J'essaie pourtant de me dire que c'est fini Franck. Tu n'as toujours pas compris?
Je me vois comme ce mec désespéré qui vient de perdre ce qui lui restait d'honneur en se parjurant lui et les siens pour une personne qui n'en a jamais valu la peine. Je n'oserais plus jamais regarder les miens dans les yeux, et pourtant, ils me le pardonneront encore comme ils me l'ont déjà pardonné.
Elle me demande si j'ai quelqu'un. Je lui dis que je n'ai personne. Je lui mens, mais sur moi Éloïse a tout les droits.
Plus d'ami, plus d'honneur. Plus rien, Franck.

Je lui retourne ses questions.
Elle va très bien. Elle, en revanche, elle a quelqu'un. Elle, elle est amoureuse. Et ça va très bien. Ça lui fait plaisir de me revoir. Ça faisait longtemps et elle craignait qu'on ne se parle plus jamais. Elle a plein de choses à me raconter et...
L'alcool me tord le ventre. L'alcool ou autre chose. Je prends une grande inspiration pour contenir toutes ces choses impétueuses en moi et à mesure qu'elle me raconte toute sa vie depuis notre séparation, avec cette sorte d'indifférence à mon égard que je lui connais bien, je sens que non, aujourd'hui c'était trop tôt. Je ne suis pas encore prêt. Pardon Éloïse, vraiment, pardon, mais je ne peux pas continuer. Je pense que ça serait mieux que tu partes, vraiment je suis désolé. J'aurais voulu continuer. J'aurais voulu qu'elle reste un peu. Pourtant, avec toute la volonté du monde, je vais craquer. Dans mon ventre, je sens les insectes manger mes entrailles.
Entendu. Sans difficulté elle se lève et commence à se rhabiller pour partir. Et je sais qu'elle va partir. Je sais aussi qu'elle ne reviendra plus jamais. Et surtout, je le sais parce que pour elle, tout ça n'a pas vraiment d'importance.
Je prends peur parce que je sais avec certitude que c'était pour elle un vulgaire travail de mémoire que cette visite. Je sais qu'il s'agit là d'une parenthèse dans sa vie. Et je sais que ce soir elle n'y pensera plus.
Je vois tout ça, pendant que je me me sens me vider de moi-même. Elle part aujourd'hui avec le peu qu'elle m'avait laissé avant. Je la vois prendre son sac et mes viscères qui jonchent le sol avec elle et partir sans que ça ne veuille rien dire pour elle. J'ai peur parce qu'à nouveau je me sens inexistant. Je vois à nouveau dans un futur proche les bouteilles d'alcool. Et je vois que tout ce qu'il me restait dans ma vie n'est que ça, quelque chose qui n'a pas vraiment d'importance et qu'on peut prendre avec soi sans s'en rendre compte avec son sac à main. Je la suis un instant pendant qu'elle s'en va en lui expliquant que j'ai un peu bu avant qu'elle ne vienne et que je n'ai pas tout mes moyens et que c'est pour ça que je n'arrive pas aujourd'hui à supporter ça, mais que j'aimerais bien remettre à plus tard notre conversation.
Mais ce n'est pas le genre de chose importante au point qu'on la remette à plus tard. Je sais qu'elle n'aura plus jamais l'occasion de trouver le temps pour moi. Je la vois partir impuissant et j'ai peur de la suite. Parce que je sens à nouveau la blessure de l'amputation.

J'ai toujours présumé de mes forces en partie grâce à l'inconscience du danger. Seulement aujourd'hui alors que je la vois partir et traverser la rue en me regardant affectueusement, j'ai des sueurs froides et j'ai peur. Parce que je sais très exactement ce qui m'attend à présent parce que je l'ai déjà vécu.

C'est la panique qui m'a fait ouvrir les yeux.
Je suis dans mon lit.
Ma respiration est restée en suspend.
Le jour est levé.
Et je comprends. Je n'aurais pas à repasser par là une seconde fois. J'expire de soulagement.
Et pendant que je souffle je réalise que plus personne ne me fera passer par là. Et que de toute façon je n'y arriverais pas.
Je prends une nouvelle inspiration. Profondément. Presque heureux.

mercredi 14 septembre 2011

Cette sensation


...inexplicable et un peu inepte d'avoir tout gâché.
Sans raison. Puisque c'était foutu d'avance.
Et puis ça aussi... Ce réflexe de chercher à me convaincre que c'était foutu d'avance...

Pour se rassurer.

Tu flippes Franck?
J'avoue.

mardi 13 septembre 2011

Une petite mort. Par inadvertance.


je crois que je vais avoir un accident de voiture. Je roule un peu vite.
Je devrais peut-être prendre cinq minutes pour faire mes adieu. Mais je surveille la route.
Ce n'est pas tout d'éviter les gendarmes pour ne pas se faire arrêter, il faut redoubler de concentration, ma voiture file de plus en plus sur l'asphalte.
Pendant tout ce temps, je ne comprends pas. Ça va trop vite.
Parfois je frôle d'un peu trop près le bord de la chaussée et dans l'habitacle monte un gros bruit sourd à cause des bandes blanches qui bordent la route. Ça me rend nerveux. Ce bruit rend tout le monde nerveux.
Contrôle rétro.
Contrôle angle mort.
Correction subtile de la trajectoire. Et me revoilà lancé au milieu de la route.
Les paysages défilent trop vite.
Garder ses mains à dix heure dix.
J'ai de plus en plus peur des virages à cause de la vitesse, même des longs et très larges.
Police. Mais personne ne rattrape Franck quand il est ainsi lancé comme un boulet de canon.
Personne.

Si ne suis pas obliger d'aller si vite. Si seulement je pouvais comprendre.
Je souris en pensant au début, il y a longtemps. Transcendé par l'ivresse de la vitesse. C'était il y a longtemps. Et je pédalais souvent pour aller plus vite.
À chaque accélération, une ivresse surprenante. À chaque changement de véhicule, la sensation du dépassement de soi. On pense qu'on va se planter. Et puis ça passe toujours. Plus je suis allé vite, plus il est devenu nécessaire de ralentir aux carrefours.

Aujourd'hui, je suis un peu victime de la vitesse. J'admets que devant un carrefour je n'ai aucun recours. Je vais trop vite. Je souris parce que je pourrais ralentir mais entre cent cinquante et cent soixante-dix kilomètres à l'heure, ça ne fera aucune différence sur ce qui va m'arriver. Ça me fait un peu peur. Je ne contrôle que très partiellement. Ma voiture tremble un peu. Oh, mais je peux encore accélérer. C'est une voiture puissante.
Seulement il devient impératif que je comprenne.
Je dois comprendre que les gens ont le choix. Il faut que je l'accepte.
C'est impératif que je comprenne, parce que je passe doucement la cinquième j'ai l'impression. Et ce n'est pas très bon. 

lundi 12 septembre 2011

Interlude de trois minutes et deux secondes.

L'eau a une couleur. Quand je disais cela au lycée, les autres se foutaient de ma gueule.
Les cons. Et ça m'énervait. Je leur disais, c'est à cause de l'oxygène. L'oxygène est pas incolore. Et si le ciel est bleu c'est à cause de l'ozone pauvre con. Et l'ozone c'est quoi?
Trois atomes d'oxygène. C'est probablement à cause de mon manque de diplomatie légendaire que mon argumentation ne portait pas ses fruit.

L'eau a une couleur. Au point qu'à la natation il peut arrivé qu'en immersion on voit assez difficilement le bout d'une piscine immense.
J'arrive dans mon rêve en ouvrant les yeux au fond d'une piscine. Une gigantesque piscine. Je crois que je suis au fond depuis longtemps. En apnée. Aucun muscle de mon corps en mouvement, je suis délicatement posé au fond de l'eau par un poids imaginaire grâce auquel je n'ai pas à lutter pour rester ainsi. Quand tu tiens un certain temps en apnée tu finis par t'habituer à l'immobilité de tes poumons et c'est une sensation très agréable. Tu te mets à sentir chaque battement que fait ton cœur dans ta poitrine comme autant d'explosions puisque plus rien d'autre ne bouge dans tout ton corps. Quand tu tiens assez longtemps en apnée, tu as le temps de te sentir bien entre le début de cette soudaine immobilité et la fin où tu vas manquer d'air et où tu pratique la respiration interne - un massage de la ceinture abdominale pour tirer tout l'oxygène inutilisé de l'air contenu dans la trachée. Et entre ce début et cette fin, tu arrives si tu tiens suffisamment longtemps à une sorte d'état second. Bien. Terriblement bien.

Quand j'arrive dans mon rêve, je suis au fond d'une immense piscine. J'y suis depuis longtemps apparemment, et je me sens bien, donc. Je n'entends aucun son. L'eau de la piscine est moins bleu qu'elle ne devrait l'être, à peine bleuté. Je lève les yeux. Au dessus de moi, à six ou huit mètres, deux trois personnes nagent à la surface. Devant moi, à environ cinquante mètres, des gens nagent aussi dans le petit bain. Je les vois bien parce que l'eau est terriblement limpide.
Je me sens bien parce que je suis loin de tout le monde.Séparé d'eux par la barrière infranchissable de l'eau.

Quand j'allais à la piscine il y a des années, j'adorais me plaquer au fond du grand bassin, le ventre sur le carrelage pour être le plus profond possible et être sûr que peu de personnes viendraient me déranger ici. Dans ce rêve je n'ai apparemment pas eu besoin de me plaquer au fond de la sorte parce qu'elle est incroyablement profonde. Tout ce vide plein d'eau entre moi et le reste de l'humanité, c'est infiniment rassurant.

Je me souviens dans mon rêve être remonté de là avec la sensation d'avoir quitté une sorte d'Éden. Et alors que je remonte sur le bord, on me demande où j'étais. On me dit qu'on m'a cherché partout. Que je suis parti six semaines. On me demande comment ça va.

Je me rends compte à mon réveil que ça fait longtemps que je n'ai pas été bien.

vendredi 9 septembre 2011

Parfois je jurerais l'entendre chanter au loin Le Fantôme de l'Opéra...

PsychoMouse file rapidement aux bruits du clavier. PsychoMouse c'est la souris qui vient chez moi depuis plus d'un ans. Elle faisait peur à Éloïse. Je lui ai caché son existence pour la voir dormir quand-même chez moi.
Depuis plus d'un an elle s'incruste.
Parfois même je l'ai présenté tout à fait officieusement à mes invités. Comme on présente respectueusement un grand artiste qui fuit la foule médiocre alors qu'il traverse discrètement le salon pour fuir dans son atelier.
Rebecca, je te présente PsychoMouse.
PsychoMouse, Re... plus de PsychoMouse.


Aujourd'hui elle est un peu comme le fil d'Ariane Un fil d'Ariane en gruyère.
Juste un fil. Ce genre de fil qu'on ne se met pas à détester après une période, ou qu'on a pas envie de couper pour avancer dans la vie. Un fil indépendant de notre volonté qui est toujours là.
Couper ce fil? C'est qu'une souris merde. Ça voudrait rien dire. Ne sois pas ridicule.

On s'est observé plusieurs minutes sans bouger l'un l'autre il y a quelques jours alors que je venais de l'interrompre dans le mangeage d'un fil de gruyère râpé. Je ne voulais pas la faire fuir. Donc j'ai pas bougé. Et elle n'a pas bougé non plus. Ses petits yeux noirs tournés vers moi, essayant de percer la carapace de mon camouflage d'immobilité, plongeant au fond de mes yeux pour jauger de la dangerosité de ma personne.
Aucun.
Mouvement..

Une minute...
Une autre...
Durant la troisième minute je commence à percevoir la réelle nature tout à fait humaine de PsychoMouse. Je sais ce qu'elle fait. Elle m'observe.
Pendant toute la quatrième minute je commence à croire que la fourbe tente en réalité de me psychanalyser. Elle veut percer les secrets de mon âme. Elle semble me dire sans se cacher oui, je suis une souris... et maintenant, Franck, on sait toi et moi que je ne suis pas conne. Alors méfies-toi. Je ne suis pas comme celles que tu as déjà connu.
Normalement, les souris se cachent pour frimer. La plupart d'entre nous ne peuvent d'ailleurs prétendre avoir déjà vu crâner une souris. Elles sont pudiques.
Mais elle... Elle, pendant les cinq minutes qu'a duré notre duel psychologique, elle m'a très clairement fait comprendre qu'elle avait une très haute estime d'elle-même. Comment? En finissant très simplement par se retourner avec dédain pour continuer à manger son bout de fromage. Je me suis un instant trouvé moi, dans la position du ridicule. Celui qui vient de perdre la face.