mercredi 20 janvier 2010

Ta gueule, Franck...

La radio chuchote quelques mots qui sonnent gravement à son oreille.
"Carnage... incompréhension... enfants fous..."

Ce qui s'est passé en fait, deux jours plus tôt, c'est qu'une crise de démence à opposée deux jeunes frères, pendant la nuit alors même que leurs parents dormaient.
Ce qui s'est passé c'est que dans leur folie (les enquêteurs n'arrivent pas encore à déterminer avec exactitude ce qui s'est passé ce soir là - mais ils sont dorénavant surs qu'il ne s'agit ni de messe noir ni d'acte commis par des gangs) ils se seraient battus jusqu'à la mort l'un armé d'une fourchette à rôti et l'autre d'un couteau à viande pendant vraisemblablement plusieurs heures dans tout le premier étage de leur maison.
La singularité de cet acte de folie réside en particulier dans le fait que leur grande sœur qui dort dans la chambre voisine n'a rien entendu de toute la nuit. Les enquêteurs sont formels : il y a eu lutte entre eux dans les trois pièces du premier étage.

Mais voilà, Franck se souvient bien, très nettement, d'avoir vu cette jeune femme, sa maîtresse pour ainsi dire, embrasser un autre homme. Langoureusement. Il y a deux jours, justement. Avec cette même expression sur son visage que celle qu'elle avait pour lui-même. La même. Alors si l'amour se voit sur le visage, il se dit que non. Il ne tirera vraiment rien de bon de cette chose.
Et d'un coup, ce massacre qui a eu lieu quelques jours plus tôt et qui vient de lui arriver aux oreilles a perdu toute son importance puisque lui dorénavant souffrira plus que tout autre personne sur cette terre.

Plus de céréales...
Tu m'étonnes qu'ils aient fait ça : plus de céréales. Comment peut-on avoir envie de se lever s'il n'y a pas de céréales...
Franck parti ce matin-là avec une tranche de pain dans la poche.

Une fureur de moucheron... Eloïse.

Franck observait sont bol de céréales.

Durant l'été, lorsque l'on petit-déjeune dehors, il arrive toujours au bout d'un moment suffisamment long qu'une mouche trop curieuse vienne se greffer au tableau calme des céréales molles qui terminent de crépiter dans leur dernier souffle.

Heureuse soit cette mouche qui donne un peu de vie à la peinture qu'il a sous les yeux depuis juste un peu moins d'une heure, maintenant.

Il ne peut détacher ses yeux du blanc lavasse du lait tiède. De nerveuses ondulations serrées perturbent le tableau avec un petit bruit. Bzzzz...! Bzzzz...!
"C'est le buz de tes songes qui tournicotent dans leur petite ronde folle" semble hurler la petite mouche bien mal barrée.
Franck essayerait bien de mettre lui même des mots sur ses troubles, mais il semblerait qu'il ait besoin qu'une mouche lui donne la rime. Dans un premier temps donc : rejet en masse de tout propos venant d'une mouche.
Voilà qui devrait entretenir sa torpeur, le temps d'y voir plus clair.

Bzzz...! Bzzz...!

Il bouge les lèvres de temps à autre. Les mots viennent des fois en bougeant simplement les lèvres.
Là, non.
Saloperie de technique de psychologue.

A qui parler?
Bzzz...! Bzzz...!

Non, Franck ne sais pas à qui parler de cela. La honte le gagne un peu, mais il ne le sait pas. La colère vient plus violente et il la voit venir. La fureur.

Et profitant du silence de l'été touchant à sa fin, Bzzz...! Bzzz...! Franck avale d'un coup son lait tiède, les céréales molles à la consistance d'huîtres, et sa conscience, cette petite voix qui lui chatouillait maintenant l'œsophage.
Bzzz...!
...
A présent il va pouvoir se laisser porter par la douce désinvolture du désenchantement qui ne va pas tarder à venir... qui vient toujours après la honte et la fureur.