mercredi 26 janvier 2011

Comme le prolongement de son regard vers l'asphalte.

Franck relève le fauteuil de la bagnole. Il regarde Caroline d'un rapide coup d'œil. Au fond des yeux. Elle prend le temps de reboutonner son pantalon et à son tour elle relève son siège. Ils ont des gestes précis qui tentent de cacher leur excitation. Il cherche quelques secondes les clés de la voiture. Ce n'est pas sa voiture, elle est au frère de Caroline mais elle s'en sert en fait tout le temps et quand Franck est avec elle, c'est souvent lui qui conduit. Parce que Caroline aime bien respirer tant que possible et savoir que tout va bien et que quelqu'un s'occupe d'elle. C'est une sensation délicieuse quand on y croit plus. Parfois c'est elle qui conduit, et il n'y a pas de raison particulière. Parce que Caroline est comme ça, tout simplement.
Ils sont sur un parking loin de la ville, dans une commune limitrophe, près des hôtels Formule 1 au abord de la rocade, à une petite distance de l'auto-route. Plus qu'un parking, il s'agit plutôt d'un espace goudronné au milieu des arbres qui bordent un ruisseau. Un espace où peuvent faire demi-tour les poids-lourds qui se sont perdus en cherchant où dormir.
C'est devenu leur repère en quelque sorte. Parce qu'il n'y a presque personne, jamais, et qu'ils sont loin. Loin d'à peu près tout. Et même s'ils ne sont venus ici que deux ou trois fois peut-être, c'est chez eux. Parce qu'ils n'ont juste pas trouvé d'autre endroit.
Ils se sont fait déranger une fois par un voyeur qui es resté une minute devant la fenêtre avant que Franck le voit éclairé par les deux trois réverbères éloignés. Ça les a vraiment fait flipper mais ils sont revenus. Je te l'ai dit. C'est chez eux.
Ils avaient imaginé il y a quelque jour de dormir à l'hôtel. N'importe lequel. Mais ni l'un ni l'autre n'ont jamais dormi à l'hôtel et ils ne savent pas comment on fait. Comment ça marche. Alors ils sont venus ici. Pour être tout les deux.
Cette nuit ils ont remis la discussion sur le tapis. Le sujet s'est curieusement rapproché de leur yeux. Et les hôtels sont devenus petit à petit plus compréhensibles. Ou bien c'est l'envie, nul ne peut savoir. Mais ce soir, maintenant, ils n'ont pas envie de sentir le levier de vitesse. Ce soir ils en ont assez d'être à moitié couché. Assez de sentir les sièges baquet. Et assez de se demander quand est-ce qu'une voiture ou un camion viendra pour faire demi tour parce qu'il s'est perdu en cherchant un endroit où dormir. Ça rappelle à Franck qu'ils ne sont pas chez eux. Qu'ils sont sur un parking. Et il sait que Caroline a cette impression aussi mais ne se plaindra jamais. Pour ne pas gâcher ces moments où elle est avec Franck et où elle s'endort un peu contre lui. Alors lui non plus n'y pense pas. Lui non plus ne pense pas qu'ils n'ont nul part où aller.
Ce soir ils n'ont pas envie de tout ça. Ce soir, sans parler de ce parking triste et glauque parce qu'ils savent qu'ils vont y revenir, ils savent qu'ils ont envie d'un vrai lit. Ce soir ils ne veulent pas être éclairé de loin par des réverbères malades de parking abandonnés et ils voudraient crier qu'ils sont tout les deux et que ça, on ne leur enlèvera pas, peu importe où ils sont.

Ils ne sourient pas malgré l'envie, ils sont trop impatients. Chaque seconde qui les séparent de l'endroit qu'ils trouveront pour s'endormir est un délicieux supplice. Caroline commence dès lors à recenser de tête tout les hôtels qu'elle a vu en ville, ici, à côté, ailleurs. Il est très tard et ce n'est pas dit qu'ils en trouve un qui les accepte. Franck met le contact et s'en va d'ici en roulant assez lentement pour voir le prix des chambres des hôtels routiers. Les prix sont exorbitants. Ils ne s'attendaient pas à trouver une barrière si matérielle alors qu'ils ont fait le plus dur il y a cinq minutes. Se lancer. Ils passent les hôtels parce que ce n'est pas grave. Il y en a d'autres.
Ils prennent la direction de la ville sauf qu'ils ne sont pas tristes. Parce que ce soir ça ne veut pas dire qu'ils se quittent. Sur la route, il passent un croisement auquel ils ont tourné à droite il y a quelques temps où ils ont roulé pendant une demi-heure. C'était au début. Quand ils craignaient de s'arrêter quelque part où on pourrait les voir. Quand on n'a pas de lieu vraiment adéquate pour être seul, on décide de perdre un peu de pudeur. C'est comme ça.

Ils sont arrivés en ville à présent et ils tournent pour trouver une place. Ils continueront à pieds. Ils en feront un, puis deux et trois. Puis un quatrième. Aucun n'aura de place ce soir. Aucun n'aura de chambre pour eux. Alors ils quittent le dernier hôtel en se tenant par la main comme si ça remplaçait finalement.
Ils regagnent la voiture.
Tu sais ce qu'ils vont faire? Ils économiseront une peu d'argent une ou deux semaines. Ils trouveront une chambre dans un hôtel un peu décevant. Une nuit qui commencera dès le début et pas à une heure du matin. Avant ils iront boire une bière. Une bonne bière, dans un bar qu'ils connaissent bien.

Et ça sera leur première nuit.

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