jeudi 9 juin 2011

Le sachet de bonbon

On peut ne pas devenir meilleur avec le temps.

Non, c'est pas ça...

Franck depuis quelques temps est pris par une sorte de crise d'angoisse de l'existence. Il a bien essayé d'en parler un peu autour de lui, mais c'est comme lorsqu'il était petit et qu'il glissait le fond de son paquet de bonbons dans l'entrée de celui-ci et qu'il prenait conscience de la notion d'infini qui devenait alors parfaitement palpable et en même temps si impossible à obtenir.
Personne ne semble saisir la porté de son propos qui ne l'effraie que lui seul.
Il s'expliquait pourtant: "C'est dingue. Si tu arrive à faire glisser le fond de ton paquet de bonbon jusqu'au bout de l'entrée, tu arriveras au fond de ton paquet avec ton autre fond. Et tu aura deux fois plus de bonbons..." (oui mais plus Franck enfonçait son fond dans le paquet de bonbon, plus il s'éloignait au fond de cette gigantesque coquille d'escargot et moins il pourrait l'atteindre. Et Franck finissait toujours méditatif en se demandant jusqu'où il pourrait enfoncer le fond de son paquet de bonbon dans ce dernier). En réalité le concept d'infini se limitait à sa réflexion qui tournait en rond dans sa tête suivant un cercle qui semblait avoir perdu son centre.
Finalement l'infini, c'est ça. C'est des bonbons.

Lorsque Franck parle des grandes questions de l'existence on a toujours la sensation d'une ineptie.

Aujourd'hui il est là le menton dans sa main. Le soleil de l'après-midi laisse entrer un bruit de circulation routière par la fenêtre.
Et cette question qui revient depuis quelques temps. On peut ne pas devenir meilleurs avec le temps.

Il a commencé à prendre conscience de cela alors qu'il était sous la douche il y a six mois ou un an. Il s'est arrêté la main suspendue au dessus de lui, le pommeau de douche expulsant nerveusement de l'eau chaude sur le carrelage. Et il a réalisé que s'il avait connu quelques femmes jusqu'à aujourd'hui qui l'ont aimé, même un peu, rien n'indique que ça se reproduira forcément.
Il n'existe aucune règle dans l'existence stipulant qu'avec le temps, les choses s'améliorent systématiquement.
L'échec sentimental qu'il venait de vivre sera peut-être la dernière occasion qu'il aura eu d'être heureux avec quelqu'un. Et elle s'est envolé.
Franck repensa à toutes les femmes qu'il avait connu et qui l'avaient aimé. Il se trouvait d'une chance insolente. Il y en a qui n'ont jamais rencontré quelqu'un. Et à lui, ça lui était arrivé plusieurs fois. En toute probabilité chaque nouvel échec devenait de plus en plus le dernier, mais ce matin là dans la douche, il avait réalisé que ça aurait déjà du être le cas depuis longtemps. Aujourd'hui, il vivait sur une batterie de secours sentimentale qui n'était pas la sienne probablement.

On peut rater des chances dans sa vie qui ne se représenteront plus jamais. Jamais. C'est le cas en amour.
C'est le cas pour tout.
On est pas obligé de devenir meilleur avec le temps.
Non... ce n'est pas ça.
On peut quitter quelque chose pour ne jamais le retrouver. Ni même quelque chose de similaire. Ni même quelque chose d'à peu près aussi bien.
Rien ne donne l'assurance qu'au prochain pas que l'on fait on ne va pas se tromper. Se tromper. Ça ne veut pas dire faire une erreur à la Punky Brewster, gentillette qu'on arrive à réparer à la fin de l'épisode.
Se tromper. Faire une erreur qui irradie le reste de notre vie.

Franck s'est rendu compte qu'au fur et à mesure que le temps passe, il est, en fin de compte, tout à fait possible que l'on rende notre vie moins bonne qu'elle ne l'était. La certitude de Franck qui était qu'il était destiné à faire quelque chose de grand ou d'utile, ou qu'il mourrait fort de la somme d'expérience que la vie lui a donné venait de s'effondrer d'un coup. Peut-être qu'il mourra seul, raciste et aigrie, justement alourdi par un peu trop d'expériences...

On peut rater sa vie. Parce qu'à force de changer sa façon de voir les choses, on peut finir par en avoir une mauvaise. On peut devenir plus bête qu'on ne l'était à cause de mauvais principes.
Rien n'indique que le temps nous rend systématiquement meilleurs. On fait juste des choix. Et parfois ils sont mauvais.
Et Franck réalise qu'il a fait beaucoup de choix ces derniers temps. Et il commence à avoir peur, parce qu'à voir les choses en face aujourd'hui, ça ne lui a pas beaucoup réussi jusqu'à maintenant.

Il savait moins de choses, mais il avançait, avant.
On peut rater sa vie. C'est tout à fait possible.

6 commentaires:

  1. Je raterai ma vie, mais ils n'auront pas mes Haribo.

    Cela dit, c'est très bien écrit.

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  2. Les lendemains ne chantent pas forcément? Et ouais Franck.
    (Les Antidépresseurs sont dans le fond du paquet de Fraise Tagada.)

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  3. 'Peut etre qu'il mourra seul raciste et aigrie justement alourdi par un peu trop d'experience': seul, nul ne sait, mais raciste et aigri toi ? Suis sure que non. Merci pour ce petit coin de lecture, jamais decue d'y venir passer un moment.

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  4. "Raciste et aigri", ce n'est qu'un exemple. Je suis presque sûr de pouvoir faire mieux...

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  5. Bon, oui, c'est vrai. Mais "rater sa vie" c'est un peu vague. On peut ne pas atteindre les but que l'on croyais devoir se fixer et manquer un des possibles...mais "rater sa vie"? Au sens d'un truc qu'on devrait considérer comme un échec? J'y crois pas: pas tant qu'on fait des choix et même si on se trompe.

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  6. Tu vois, ce genre d'idées est totalement exclu de ma pensée. Je veux dire : de ma pensée consciente. C'est un énorme travail que de l'en exclure. C'est la source-même de mes névroses. Quand cette idée ("On est pas obligé de devenir meilleur avec le temps.", "On peut rater sa vie") effleure ma conscience, je range, j'ordonne, je nettoie, je fais ma "tornade blanche". C'est épuisant, mais je crois que le jour où l'idée s'installera durablement, je serai très triste. Non. Au-delà. Et "Au-delà de l'extrême tristesse se trouve la joie parfaite.", a dit un poète québecois, mais je ne suis pas d'accord.

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