mercredi 22 décembre 2010

Les poussins bleus

Les nuits sont froides en cette période de l'année. Et pour l'avoir déjà fait, Franck sait que deux pulls ne suffiront pas. Il a prévu pour commencer de passer le début de soirée dans un pub à boire de bonnes bières. Ils ne vont pas trop abuser parce que la soirée ne s'y prête pas. Il s'agit de passer le temps, et de tenir, jusqu'au matin. Quelques bières fortes donc, juste pour se réchauffer un peu. Un maximum avant de continuer dans un autre bar qui fermera un peu plus tard.
Ils restent tout les deux assis au chaud à discuter tranquillement pour en profiter un petit peu. Ils ont toute la nuit pour discuter mais tout à l'heure ça sera beaucoup moins drôle. Parfois, dans le bar, ils regardent dehors. Par ce froid, impossible de dormir.
Franck à un petit sac à dos plein à craquer. De pulls. Parce qu'elle n'en a pas d'assez chaud, parce qu'elle n'a pas de gros pulls, les pulls qu'il faut pour passer la nuit dehors. Et en y pensant, Franck non plus.
Pendant la soirée (la vraie. Au bar...) elle est restée égale à elle-même. Tendre et gentille. Pleine d'elle-même pour qui Franck pourrait faire ça autant de fois que nécessaire. Comme ce soir, et comme il y a quelques jours. Parce qu'il faut gagner le droit de se voir. Parce que les choses parfois ne sortent pas d'un scenario de Walt Disney.
Franck ne discerne à aucun moment cette impudique reconnaissance que pourrait avoir la jeune fille, parce qu'ils en ont déjà parlé. Et que ce qu'ils vont faire ce soir, après avoir bu toutes ces bières, n'est rien. Rien d'autre que trouver un succédané de lit conjugale sur le bitume des trottoirs de la ville.

Ils reprennent la route. Le bar doit fermer. C'est le début de la nuit qui commence. La fois précédente ils avaient repéré un petit coin sympa au coin d'une petite place pour y poser leur barda. À aucun moment ils ne se sont arrêté de parler. Il y a des habitudes que l'on prend vite. Comme certaines évidences qui s'imposent dès le début.
Ils sont dans les bras l'un de l'autre et ils tremblent. Un nuage de fumée autour d'eux qui sort de leur bouche les feraient repéré à vingt mètre. Franck sort un premier pull de son sac. Et puis il les sort tous. La nuit va être longue. Le froid enlève toute notion esthétique de la tenue vestimentaire. Notion que Caroline possède pourtant de façon certaine, d'habitude. Mais le froid...

Ils sont tellement recouverts de multiples couches qu'ils ressemblent tout deux à deux Bibendum chamallow. Les bras presque à l'horizontal. Ils font d'ailleurs des pieds et des mains pour rester collés l'un contre l'autre. Par envie. Et par besoin aussi. Quand tu es recouvert de trois gros pulls et d'un manteau, il faut une force physique d'endurance étonnante pour garder quelqu'un dans tes bras longtemps. Et puis ils tremblent tout deux tellement. Non, c'est certain qu'ils ne dormiront pas. Ils rient une minute de se voir comme ça mais ne parlent pas des six heures qui les attendent et qui se profilent lentement devant eux, que le froid sur leur visage rend lointain. Six heures. Ça passe vite parfois, et parfois, promis, c'est interminable.
Elle ne demande rien. Franck la blotti contre lui pour qu'elle dorme un peu. Il pense à ce connard de père qui ferme la porte à clef. Drôle de pédagogie qui n'apprendra à aucune fille à rentrer avant la nuit. Et puis son travail ce soir s'est terminé après le couvre-feu, la condamnant de fait à la punition. Franck à tout un tas d'idées qui lui passe par la tête. Tout un tas de motivations à sa colère. Tout un tas de révoltes qu'il pourrait mené à bien.
Caroline essaie de s'endormir pendant que Franck, en lui, prépare de toute pièce la révolution contre toute forme d'hégémonie. Si Caroline pouvait lire dans ses pensées, elle le trouverait adorable. Mais à cette instant, elle doit probablement plutôt penser à une des robes que portait sa mère, pour se réchauffer les idées (notre affecte se raccroche à des choses un peu bêtes des fois). On fait ça quand on a très froid, souvent. On s'accroche à des souvenirs.
Franck arrête sa montée au pouvoir imaginaire et regarde Caroline. Il préfère rester ici finalement, dans la rue, avec elle, plutôt que renverser n'importe quelle dictature. Il songe qu'il se révolte de tout plein de choses que Caroline à déjà due digérer par la force. Alors il fait taire sa tête et il lui propose doucement, comme si la rue vide les écoutait, de prendre un super petit déjeuné demain matin. Dès que la boulangerie du Poussin Bleu ouvrira. Ils iront acheter des chocolatines et des croissants au beurre. Et ils iront place de la Trinité pour prendre un chocolat dans ce salon de thé super bon. Elle fait un "Hmmmm...!" qui suffit à lui seul à chasser toutes mauvaises pensées.
Il reste six heures.
L'alcool redescend. Et même si une grand partie de l'ivresse a été balayée par le froid glacial du dehors dès qu'ils sont sortis, le peu qu'il restait était le bienvenue. Ne reste à présent seuls, que leurs pulls et leur manteaux. Et le froid commence réellement à arriver, et les murs commencent à céder les dernières forces du soleil de la journée.

Parfois Franck, parfois Caroline, va demander à l'autre de quitter les lieux. En espérant que dans une autre rue le soleil se lèvera plus vite. Mais il n'en est rien. Et ils ont fait comme ça toute la ville. En six heure. Parce que quand tu as froid, le temps passe beaucoup plus lentement. Franck porte un gant. Caroline porte l'autre, un peu trop grand pour elle.
Une autre fois, c'est lui qui aura oublié les siens.

2 commentaires:

  1. Dommage qu'il faille des mots pour exprimer qu'on a juste envie de regarder ces deux-là en silence...

    RépondreSupprimer
  2. tu as raison. C'est d'ailleurs probablement ce qu'ils ont fait aussi, souvent.
    Se regarder en silence...

    RépondreSupprimer