lundi 14 février 2011

Analyse psychiatrique en une étape

Parce que quand il fait trop sombre aucun regard n'est possible pour comprendre...


Franck se trouve dans son appartement où jamais il n'y a eu une telle ambiance. Entre le calme d'un dimanche après-midi, lorsque toute la famille est affairée ailleurs et qu'on a la sensation d'être tout seul et une nervosité mal contenue qui semble sortir des murs. Il est avec Caroline. À côté d'eux plusieurs personnes regardent religieusement la télévision.
Ils parlent assez bas lui et elle. Il y a une gravité dans l'instant. Une gravité incompréhensible, encore à l'heure où je te raconte cela. Il semble que Franck ait pris la décision à contre cœur de "lui" parler. Une personne non identifiée. Un homme, il semble. Caroline semble aussi peu rassurée que lui par cette décision. Comme forcé par une main impitoyable à accomplir son destin Franck se lève en prenant soin de ne déranger personne en chercher ses affaires. On dirait qu'il part dans un pays dont il ne reviendra pas. Nul ne sait à qui il va parler à par Caroline qui sait tout comme lui l'inéluctabilité de ce qui va se passer.
À côté deux, à deux mètres à peine, les téléspectateurs ressemblent à une milice de zombie dont l'âme tout entière est absorbée par leur film. Et dans l'appartement règne le délicat parfum de la fatalité sur le point de s'accomplir.
Ceux qui connaissent le Franck sur le point d'avoir une conversation sauront que le plus terrible à cet instant, c'est la singularité de son regard. Franck a peur. Réellement. Pas intensément, mais il a le regard d'un prisonnier résigné à entendre sa condamnation, peu importe ce qu'elle sera.
Caroline ne dit rien de superflue, ne donne son avis concernant les remarques de Franck qu'à l'aide de quelques rares mots. Elle qui n'a jamais froid aux yeux, elle qui ne se laisse jamais dépasser, elle qui est toujours prête à aider Franck dans l'adversité, elle aujourd'hui n'a rien à dire. Elle a peur. Comme Franck.

Franck cherche quelque chose. Elle lui demande ce qu'il fait. Il prend un couteau à la lame recourbée et lui montre. "C'est pour si la discussion dérape" et il fait signe d'enfoncer la lame dans un cou. Pas n'importe où. Juste là, entre l'omoplate et la clavicule, directe dans le coup. Franck sait qu'il va probablement tuer quelqu'un tout à l'heure. On ne sait pas pourquoi en venir là, mais il n'y aurait pas d'autre alternative. Caroline, légèrement plus sombre depuis un instant acquiesce. Elle sait aussi le mystère qui conduira peut-être à cela. Fatalement. Elle n'est pas étonnée, juste un peu moins rassurée. On devine que Caroline aurait voulu reporter ce moment le plus longtemps possible.
Franck quitte l'appartement, et il a peur d'avoir à tuer un homme.
Un homme si étrange qu'il retourne l'estomac de Franck rien qu'à l'idée d'aller lui parler.

II


Franck est dans un corridor assez long. Rouge.
Aux murs, des tableaux dans les tons rouges également, tous sans exception. Un rouge profond. Rouge roi, rouges sombres et rouges très lumineux. Les murs sont recouverts de velours de même couleur, ou bien est-ce une superposition de différentes teintes de peintures rouge aussi, à même le bois et le plâtre du mur, passant derrière les tableaux accrochés.
Derrière lui, au fond du couloir, une pièce ouverte très éclairée par la lumière extérieure.
De l'entre-bâillement de la porte s'échappe l'intense éclat blanc du soleil. Dans la pièce, Franck le sais, une jeune femme est attachée. Elle essaie avec une hystérie maitrisée de défaire les liens de ses poignets. Franck le sait. Il ne l'a pourtant jamais vu. Ni la pièce dans laquelle elle se trouve. Ni ce corridor. Mais Franck sait pourtant tout cela. Il la voit même, les jambes légèrement écartées et pliées  comme lorsqu'on veut remonter le plus haut possible sur le matelas.
Elle est adossée au montant du lit. La fatigue apparente laisse penser qu'elle est dans cette position depuis plusieurs jours. L'avidité avec laquelle elle tente de manger ses liens n'a rien à voir avec la faim mais plutôt avec l'espoir.
Elle le sait, c'est la première et dernière fois qu'elle a l'occasion de tenter une fuite alors qu'un sentiment funeste gagne Franck, dans le corridor, qui observe cette femme par la pensée. Il sent que l'homme est ici. Qu'il va entrer de l'autre côté du couloir.
Elle est très nerveuse à présent. Elle l'a entendu approcher.
De l'autre côté la porte s'ouvre.

C'est très étrange, pense Franck à cet instant, d'entendre monter dans l'air le Canon de Pachelbel  en même temps que les jambes de l'homme pénètrent dans le couloir. Franck qui est plus une présence immanente à présent qu'un réel personnage, ne sait pas quel rôle jouer ici. Il entend le Canon qui berce immédiatement toutes la violence qui aurait voulu se projeter aux murs, lui donnant une consistance ouaté. L'homme lentement referme la porte par laquelle il vient d'entrer. Franck a essayer de distinguer ce qui se trouvait de l'autre côté pour y voir la preuve d'un monde extérieur Or, derrière la porte rien. Du noir. Un noir profond. Il semble que l'homme soit venu tout droit des ténèbres.
À peine a-t-il ouvert la porte qu'il a annoncer très haut un satirique "Chérie, je suis rentré...!".
Franck sent monter en lui une sensation étrange. Il le sait à l'instant. La femme attachée sur le lit dont l'avenir ne présage rien de bon est la sœur de cet homme. Et c'est bien à elle qu'il s'adresse avec humour.
Il a dans la main un gourdin. Ses grosses chaussures font un bruit d'éperons sur le sol à chacun de ses pas. Sur ses deux cuisses, cousus sur son pantalon, de gros sourires au dents pointues et des yeux carrés au regards méchants.
L'homme va en terminer aujourd'hui avec cette jeune femme. Franck suppose même que cette entrée qu'il a fait est une mise en scène. Un petit rituel juste pour eux deux. Le portrait effrayant d'une bonne famille.
Franck se réfugie dans la chambre qu'il essaie de fermer alors qu'une forme s'en échappe. C'est une femme. Une autre, venue libérer la première. Elle ressemble à ces femmes qui ont du cran, ces femmes courageuses, entreprenantes, qui n'ont jamais froid aux yeux. Elle ressemble à ces femmes qui osent. Qui osent vraiment.
Franck a fermé la porte et la maintient. Il voit dans le couloir que l'homme est malheureusement secondé. La femme, telle une guerrière intrépide, porté par la conviction de la justice est bien décidé à arrêter l'homme. Avec un manche à ballet en bois.
L'homme et son acolyte rient de bon cœur en lui assenant des coups violents de gourdins en fer. Franck les voit petit à petit se courber sur un corps de plus en plus replié sur lui-même pour s'acharner avec délectation. Les barres de fer s'abattent encore quelques instants sur la dépouille ensanglanté de la bienfaitrice avant que l'homme ne lève la tête en direction de la chambre, se rappelant l'objet de sa convoitise.
Sa sœur qui est encore attachée se laisse maintenant aller complètement à sa peur, les liens encore entre ses dents comme si d'un coup ils allaient céder. Comme si d'un coup, elle pourrait s'enfuir par la fenêtre.

Par la fenêtre d'ailleurs, Franck regarde l'extérieur. Il semble que cette lumière, il semble que le soleil et le ciel n'existent pas vraiment. Et le Canon de Pachelbel est si beau...
L'homme va entrer. Franck commence à regretter d'être venu.



Il est des endroits sombres où la logique ne peut pas entrer pour essayer de comprendre.
Franck n'est pas à l'aise. Il vient de se réveiller calmement et a peur de se poser la question du sens. Du sens de ce rêve.

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