jeudi 2 septembre 2010

Le masque africain.

Franck est assis sur son lit, les yeux grand ouverts. Le regard dans le vide.
Il ne bouge pas.
Depuis un long moment.
Le dos contre le mur, les jambes en tailleur, bras ballants.

Moi je suis son côté qui cherche un peu d'aide à l'extérieur. Assis pas loin. À la fenêtre.
Et je l'observe, depuis tout à l'heure.

Le bouquet de pissenlits dans le vase est mort depuis quelques jours. Un vase un peu design qui ressemble à ces trucs dont le but est d'apporter à l'intérieur d'un appartement un peu de moderne mais toujours dans l'intention de rendre reposant la pièce dans laquelle il se trouve.
Les pissenlits ont eu le temps d'y moisir sans que Franck n'ai eu la force de faire quoi que ce soit. Il est comme ça depuis quelques jours aussi. Avant même que les pissenlits ne soient morts, en fait.

Moi je reste là à le regarder, songeant à ce qu'il était ces dernières semaines. Ce qu'il a essayé d'être. De faire. De comprendre. Son faux optimisme auquel il a essayé de croire, sa toute nouvelle alimentation et ses nouvelles occupations, pour une vie plus saine. Et je regarde autour de moi pour voir ce que l'on avait essayé de faire de cet appartement.
Je regarde les pot-pourris dans les étagères... les cadres où l'on a glissé quelques photos médiocres montrant les moments simples mais heureux de notre existence, des amis, un peu de famille. Deux cadres.
Et là, le livre sur cette fameuse Zen-attitude étalé sur le sol ouvert à une des pages centrales. Combien on a payé ça déjà...?
La seule lampe qui éclaire la pièce est une petite lampe de chevet. On en a acheté deux. Il trouvait que ça rendait l'endroit plus chaleureux. Elle est à l'autre bout de la pièce. Elle doit être brûlante parce qu'elle est allumée depuis au moins quinze heures.
Franck ne bouge pas. Il est dans la même position que lorsqu'il s'est arrêté de parler. Après ses derniers mots. “ Des fois on arrive pas... ”. Il ne soupir pas. Il ne souffle pas. Pas un geste non plus. Il s'est arrêté sur ces mots et puis rien. Il ne réfléchi peut-être même pas. Comme s'il s'était éteint à la fin de ses dernières paroles.

Ses yeux ne regarde rien. Un rien qui est en face de lui. À à peu près cinquante centimètres au dessus du sol, parce qu'il est assis sur le lit qui est à même le parquet flottant. Et il est un peu avachi. Alors oui, c'est à peu près ça. Cinquante centimètres. C'est à cette hauteur que son regard va bien au delà du mur d'en face.

Il se tient comme s'il était un torchon usé jusqu'au plus profond de ses fibres par des années de bons et loyaux services, des années de lessives à quatre-vingt-dix degré, abîmé par la passion de sa fonction. Essuyant tout et le pire parce qu'il n'est pas une serviette. Non. Un torchon. Un torchon qui ne tient entier,aujourd'hui que par le fait du hasard. Alors quand on le pose quelque part, il s'effondre sur lui-même en disant à son propriétaire excusez-moi pour mon allure peu distinguée. Un torchon qui puera dans pas longtemps mais qu'on ne lavera pas parce qu'il est mort. On laisse toujours ces torchons à la dernière place où on en a eu besoin. Et si un jour, des années après on tombe dessus en revenant sur les lieux, couvert de poussière depuis, on le balayera d'un revers de main et il tombera doucement par terre. Un torchon sec, gris et moisi sur les bords.

Franck semble s'être mis en pause. Une pause d'une longueur indéterminée, en attendant de savoir s'il va ou non se relever.

Moi je suis à la fenêtre. Je suis à l'écoute. Je passe le temps comme si je me trouvais petit garçon dans la salle d'attente d'un dentiste pas commode. Je ne bouge pas. Je ne fais aucun bruit. Je ne veux pas parler non plus. Les mots ricocheraient contre les murs, s'amplifiant dans un brouhaha qui deviendrait terrifiant. Je suis assis à la fenêtre et je réfléchi pour deux. Je ne suis pas loin, pas comme lui. Et pourtant sans sa volonté, sans son envie, moi je ne suis pas grand chose. Je reste là en silence à regarder autour de moi dans cette salle d'attente parce que maman m'a dit doucement la première fois que j'ai ouvert la bouche “ chute ”. Et si même maman parle doucement c'est que la sentence est sans appelle.
Cet appartement semble, tout de suite, avoir été traversé par un typhon qui est bien loin aujourd'hui.  Les vestiges d'un appartement qui a vécu. Et avant cela, si vous l'aviez vu. Un appartement ranger de façon harmonieuse pour, encore une fois, être bien dans sa tête.
Je me doutais que ça ne marcherait pas.
Et Franck devait s'en douter aussi.
Mais à partir d'une période, il y a quelques semaines, il a craint beaucoup pour sa santé. Mentale, aussi. Alors il a essayer la vie en mode Ikea.
Moi je pensais bien que ça ne marcherait pas. Et lui aussi, sans doute. Mais il a essayé. Et ça, essayer de faire ça, de changer sa vie par crainte pour soi-même, en venir là, ça doit être effrayant.
Alors j'espérais quand même un peu que ça marche. Pour lui, au moins.
Mais aujourd'hui, cette fois, j'admets que j'ai un peu peur.

Franck tourne doucement la tête vers moi pour me regarder dans les yeux. Il a bougé sa tête sans bouger une quel qu’autre partie de son corps. Immobile. Et ses yeux plongent au fond de moi pour me parler.
À présent, tout ce qu'il est, tout ce qu'il veut est dans ce regard. Ce que je lis c'est un Au Secours muet. Rien d'autre. Il me regarde juste longtemps. Moi.
Pourquoi moi? Il pense peut-être que je peux l'aider. Mais je ne peux rien pour lui et j'aimerais qu'il me foute la paix et qu'il arrête de me regarder.
Mais non. Il insiste. Silencieux. Son âme qui ne me lâche pas alors que je n'ai pas la réponse. C'est cela que j'ai envie de crier. Que je n'ai pas la réponse.

Il a dû m'entendre. Il vient de passer sur son visage le masque de l'amertume. Une profonde amertume à mon égard. À l'égard du monde et de tout ceux  qui ne sont pas ici, dans cette pièce pour lui dire comment faire maintenant.
Moi aussi je veux des réponse, même s'il ne le sait pas. Et moi non plus ne vais pas très bien. Et je n'ai comme seul ami que le regard amer d'un fantôme avachi sur son lit. Alors pris à la gorge par l'atmosphère irrespirable d'ici, je descends de ma fenêtre et je quitte la pièce.
Le fantôme-Franck me suis un instant du regard, puis repart très loin on ne sait où, quelque part à côté de lui-même. Les yeux replongeant dans le mur d'en face.
Moi je me réfugie dans la seule autre pièce existante ici. Les toilettes.
Je m'y assoie pour attendre. Et j'entends qu'à côté quelqu'un pleure doucement.
Comme dans ces cas-là on fait tous comme on peut, je le laisse pleurer. Parce que je n'ai pas la solution.
Je me mets à sourire. Dans le noir de mon placard, je souris, sans les yeux. Seulement avec mes lèvres. Un grand sourire distendu. Parce que je ne sais pas quoi faire. Alors je souris gravement.
Et j'attends. Amer.
Et en même temps, je sens sur mes pied la douceur de la couverture qui est sur mon lit.

2 commentaires:

  1. Ca doit être angoissant de regarder Franck et de ne pas avoir de réponse.

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  2. Peut-être est-ce aussi angoissant que de se rappeler que c'est nous-même qui sommes sur le lit.

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