vendredi 14 octobre 2011

Et pourtant quand je suis en face de ce rayonnage, pour moi, ça n'a aucun sens

Je la regarde étirer ses lèvres pour se passer le rouge numéro cinquante-sept dessus. On dirait que pour elle personne n'existe quand son regard fixe avec attention dans la glace sa main experte dessiner le contour de sa bouche.
Ça me semble si intime comme scène que je la vois presque la serviette autour d'elle et les cheveux encore humides de la douche qu'elle vient de prendre.
Elle passe ses lèvres l'une sur l'autre pour harmoniser le rouge à lèvre.
J'ai honte de la regarder, comme si l'opération avait quelque chose d'impudique.

Une annonce micro appelle d'une voix monotone une caissière à son poste de travail.
Quand je travaille au rayon maquillage, j'ai l'impression d'être plongé au cœur d'un gynécée mystérieux en plein milieu du supermarché.

Une jeune femme se trouve belle en se regardant dans une glace alors qu'elle pose sur elle un pull qui ne l'inspirait pas beaucoup au départ. Elle est ravie et du coup, elle se tourne de trois-quart, puis de l'autre côté. Je la regarde faire comme si j'avais pénétré chez elle à son insu, caché derrière un rideau. Je crois que si nos regards se croisaient je rougirais honteusement.
Ici, les femmes sont chez elles.

Elle pose sur elle un autre pull. Reprend le premier. Comme si elle se préparait pour un rendez-vous galant. Un bel inconnu. Elle veut au milieu de son petit salon mettre toutes les chances de son côté pour le séduire et plus si affinité. Elle a cet air appliqué de la jeune femme qui ne veut commettre d'impair vestimentaire sous aucun prétexte. Tout comme ces jeunes femmes déjà ravissantes qui veulent faire tout de même un effort supplémentaire.
Et moi je suis là comme un étranger affecté à une tâche un peu vague. Encaisser des articles auxquels il ne connait rien sans avoir une idée de leur fonction, avec la seule conscience du fait que sur elles ça fait joli. Comme un enfant en bas âge qui trouve sa maman très belle. Aussi bête que ça.

La fille au rouge à lèvres s'en va. Je dois rebuter sous mes airs rustres d'homme mal dégrossi puisqu'elle va porter à une autre caisse ses articles. Une caisse tenue par une femme. C'est un milieu dans lequel je n'ai pas mes entrées.
Je voudrais lui signifier que si, je sais. Que si, je connais tout ce qu'elle a choisi parce que j'ai vu sur elle et que j'ai trouvé ça merveilleux, oui. Je voudrais lui dire que c'est bien la preuve que je peux entrer dans monde. J'aurais pu lui faire comprendre quand elle est passée devant moi pour régler ailleurs, mais peut-être par respect pour son savoir faire venant d'une autre dimension, je décide de la laisser partir sans sourciller.

Un appel micro à l'attention de la caissière qui est priée de rejoindre son poste de travail de toute urgence, merci.
Cette impression parfois de ne pas exister. D'être transparent. De ne pas compter parce que ce n'est pas pour nous qu'elles se font belles.
Ce message est adressé aux destinataires de tant d'attention dont ils ne sauront jamais rien.

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