dimanche 27 juin 2010

La sieste des nymphes

Franck n'aurait pas dû faire la sieste. Parce qu'il s'est réveillé comme happé par le besoin de faire quelque chose.
Sans trop savoir si c'est un sursaut qui le réveille ou un besoin intense d'activité, il se voit encore ouvrir l'oeil, se redresser directement, sans chercher à prendre le temps de revenir à lui et allumer sont ordinateur dans le même temps avec le geste ample et  maladroit du nourrisson qui veux saisir quelque chose.

Il vient de voir l'amant d'Eloïse. Il lui a parlé, et il a entendu cet homme lui parler d'Eloïse comme s'il s'agissait pour lui d'une fille lambda.
C'est son rêve. Et c'est pour cela qu'il se réveille avec hâte.

Sans trop se souvenir comment la discussion a commencer, il se revoit dans la rue, les deux homme zig-zagant entre les voitures garées et en pleine discussion déjà.
Tu t'appelles comment?
Moi? je suis (impossible de se souvenir de ce nom). Il ajoute que son vrai nom est...
Franck ne veut pas le savoir, il veut juste que l'autre lui répète son nom de scène.
L'autre lui répète.
Ça lui dit quelque chose. Il a déjà lu des trucs de lui. Parce que l'autre est écrivain.
Franck le remet. Il sait d'où il le connait. Il connait son visage.
L'autre lui dis qu'il a des soucis parce que la vie ces compliquée tu vois. Et en plus, en ce moment il se tape une nana, Eloïse. Elle vient de rompre.  Franck vient de passer dans un trou d'air rapidement.
Il écoute. Bercé par l'intimidation qu'il ressent à savoir ce mec se tapant son ex. Il voudrait bien lui dire que bah ouai, tu vois, mec, t'es entrain de me dire que tu te tape mon ex. Alors on va peut-être arrêter là la discussion parce que ça sera agréable pour aucun de nous cette situation.
Et puis en même temps, il est curieux de savoir qui est ce type. Qu'est-ce qu'il a dans la tête. Pourquoi lui.

Et puis, il n'a pas l'air con, et ça, ça... c'est encore plus intimidant. Et énervant, aussi. Mais surtout intimidant et gênant. Franck se tait.
Quand l'autre se présente sous son nom de scène, Franck ne peut s'empêcher de lui dire que ouai, je te connais, je t'ai déjà lu. Mais quand l'autre s'apprête à lui demander qui il est, est-ce qu'il écris aussi et c'est quoi son nom de scène à lui, Franck répond vite pour éviter la gêne de l'aveu :"ouai, j'écris, aussi..."
Il est d'ailleurs un peu vexé en secret que l'autre n'insiste pas. Que l'autre ne semble pas trouver ce personnage assez intéressant pour le bombarder de questions. Parce que Franck, lui, c'est ce qu'il voudrait faire. Le bombarder. Le bombarder de questions à propos d'Eloïse.

L'autre lui parle de ces soucis. Et de cette fille. Franck tente un "vous vous êtes vu combien de fois?" à quoi l'autre répond: deux. "Mais tu vois, on discute depuis longtemps, et on se contact souvent, mais tu vois Eloïse...".
Il a un débit assez rapide et des propos assez confus. Mais par dessus tout, ce que Franck relève c'est sa façon de prononcer son nom.

Eloïse.

Il prononce ce nom comme s'il lui appartenait déjà. A lui seul. Ne sachant pas qui est Franck. Il prononce ce nom comme on parlerait de NOTRE pote à une jeune fille dont on constate plus tard qu'elle est sa soeur. Franck, se sent déposséder de ce nom qu'il connait par coeur. Il se sent déposséder de ce nom que lui connait mieux que les autres, tout ça parce qu'un gugusse se l'est approprié. Juste parce qu'il l'a déjà baisé deux fois avec cette fille et qu'ils ont échangé des messages. Il prononce ce nom comme s'il promettait à Franck de lui en dire plus sur cette meuf qu'il ne connait pas, sans doute.
Mais t'inquiète, mec, je vais t'en parler... semble dire ce type.
Juste par sa façon de prononcer le nom d'Eloïse.

Et Franck se sent privé de son histoire avec elle. Franck a l'impression devant l'air dominant de ce type sûr de lui, sûr de connaitre cette fille mieux que Franck, que ce dernier va lui en apprendre sur Eloïse.
On peut réfléchir une minute et penser que c'est peu probable. Franck s'est dit ça justement.
Mais à la façon qu'à l'autre de prononcer le nom d'Eloïse, c'est le ventre de Franck incapable de se taire qui lui laisse penser que non, Franck, non tu n'as rien compris à cette fille probablement, parce que regarde comment l'autre prononce son nom. Ça c'est un mec qui a saisi de quoi il parle.
Franck est en position de faiblesse parce que son ventre se retourne contre lui. C'est souvent le cas, d'ailleurs.
Mais l'autre a des soucis, et Franck pense que simplement il ne sait pas et il ne cherche probablement pas à nuire. Alors Franck peut comprendre que l'autre réagisse comme cela. Et il fait taire son ventre.  
"... cette fille tu comprends d'ailleurs moi j'ai des soucis c'est vrai quand tu vois que et puis sans compter que ouai moi je souffre mais on est beaucoup j'écris tu le sais ouai bien sûr que tu le sais tu m'as dit que c'était quoi ton nom déja on s'est vu deux fois elle et moi elle va bien tu sais elle a rompu comme moi d'ailleurs on est tous dans ces cas-là moi mon soucis c'est que..."

Franck se souviens distinctement s'être dis dans son rêve que "mais... y a pas moyen de comprendre ce qu'il dit ce mec?". Il voudrait l'interrompre pour lui demander de parler d'Eloïse mais il souffre et il a l'air d'avoir besoin de parler d'autre chose plus particulièrement. Et puis, aussi, il ne le lui demande pas parce qu'il aurait peur de se faire repérer.
En y pensant, les seuls propos de l'autre que Franck comprend distinctement sont les mots qu'il dit à propos d'Eloïse.

Ils sont là, zig-zagant entre les voitures garées le long du trottoir. Ils marchent vite. Apparemment, ils vont au même endroit. C'est probablement pour cela qu'ils se sont mis a discuter.
Et Franck voit l'autre continuer à remuer les lèvres et de temps à autres sortent de sa bouche deux trois mots distincts à la suite. "Parce que tu sais que... mais c'est compliqué.... ma vie c'est... toi tu... Eloïse elle est comme... Attends on s'arrête ". Tout cela noyé dans un  flot de syllabes rapide et sans aucun sens.

Franck en même temps que descendre du trottoir et remonter sur le trottoir et redescendre ne quitte pas des yeux la bouche de cet enculé. Enculé, parce qu'il ose lui parler de cette fille avec l'affront de ne pas savoir que Franck la connait.

Quand quelqu'un nous parle d'une personne que l'on connait bien comme si, précisément, nous ne la connaissions pas, il y a toujours une partie de nous qui se trouve un peu vexée. Qui voit cela comme un affront.
C'est ça que Franck a à la tête. Il pense à cet affront et à cette curiosité qui l'anime pour le thème d'Eloïse sur lequel, d'ailleurs, ce mec ne semble décidément pas assez s'étendre. Et il voudrait l'interrompre avec un "et... par hasard, la fille dont tu parles..." mais quelle question pourrait-il lui poser? Qu'est-ce que Franck veut savoir?
...

Du coup, il reste juste là, à faire la conversation à ce type sympa mais salaud quand-même, frustré de ne pouvoir entendre parler d'Eloïse comme s'il y était. Parce qu'il n'y est plus Franck. Et au fond, c'est peut-être uniquement ça qui le turlupine.
La seul question qu'il a en tête est celle-ci, peut-être. Le fait de ne plus y être. Et il aurait bien voulu qu'on lui raconte pour le vivre encore un peu...

A son réveil, donc, il est là, avec le souvenir de ce type qui est venu jusque dans sa tête pour le narguer de ce que lui n'avait plus.
C'est pour cela qu'il a vite téléchargé avant même de se réveiller totalement un épisode d'une série stupide pour le regarder. Et oublié ce que ce mec lui a dit.
Et oublié comment ce type prononçait le nom d'Eloïse.

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